Huawei: la France sur une ligne de crête

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Huawei: la France sur une ligne de crête

Par Antoine Izambard le 22.07.2020 à 11h48ABONNÉS

Contrairement à Washington ou Londres, Paris a choisi une voie médiane en ne bannissant pas le géant chinois Huawei de son marché 5G tout en encadrant strictement l’utilisation de ses équipements. Le but ? Ne pas froisser Pékin et se prémunir aussi contre les « risques » que fait peser le premier équipementier mondial très lié à l’État chinois.

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Un autocollant fait la promotion de la 5G dans une boutique Huawei à Pékin, en mai 2020.AFP/ARCHIVES – NICOLAS ASFOURI

« Nous n’interdisons pas à Huawei d’investir sur la 5G » mais la France doit protéger ses intérêts « stratégiques » et « de sécurité nationale ». Comme s’il déclinait la stratégie présidentielle du « en même temps », Bruno Le Maire a précisé mardi 21 juillet la position du gouvernement à l’égard du géant chinois des télécoms qui lorgne le marché hexagonal 5G. Une équation difficile à résoudre qui illustre bien le chemin de crête emprunté par Paris contrairement à certains États (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande…) qui ont décidé de bannir le deuxième fabricant mondial de smartphones de leur réseau. 

L’ANSSI hausse le ton

L’attitude de l’exécutif de ne pas « discriminer quelque opérateur que ce soit », selon les mots de Bruno Le Maire, est toutefois loin d’être arrangeante pour Huawei. Dans un style moins diplomatique, le patron du gendarme français de la cybersécurité (ANSSI) qui est notamment chargé de valider les équipements utilisés par les opérateurs dans la 5G, a par exemple affirmé début juillet qu’avec Huawei « le risque n’est pas le même (qu’) avec des équipementiers européens ». Dans la foulée, Guillaume Poupard a aussi déclaré que les opérateurs français ayant opté pour le géant chinois vont recevoir, contrairement à ceux qui ont choisi Nokia ou Ericsson, des autorisations d’exploitation comprises entre trois et huit ans.

Un coup dur pour Huawei qui a fait du marché français l’une de ses priorités en Europe et a même annoncé en début d’année son intention d’y implanter une usine de 500 emplois pour produire des équipements 4G et 5G. « Contrairement aux États-Unis, notre position n’est absolument pas motivée par des critères politiques ou commerciaux, elle est uniquement technique, précise-t-on à Bercy. Et sur ce plan, il est évident que nous avons moins de garanties avec Huawei qu’avec Nokia ou Ericsson ». Symbole de l’attention que porte depuis plusieurs années le gouvernement au cas Huawei : un dispositif national de veille et d’action contre l’ingérence du groupe chinois, baptisé Cerbère et piloté par le Sisse, le service d’intelligence économique de Bercy, a été mis en place en 2015, comme l’a révélé Challenges. Il a poussé pour que l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) écarte Huawei du marché des routeurs de cœur de réseau qui supportent et relient les principaux nœuds des réseaux télécoms.PUBLICITÉAds by Teads

Paris plus nuancé que les Five Eyes 

Cette cristallisation autour du groupe fondé en 1987 par l’ancien colonel de l’Armée populaire de libération Ren Zhengfei est au cœur d’un bras de fer aux allures de guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine. Ce durcissement s’est considérablement accéléré depuis l’élection de Donald Trump. Sous sa présidence, les téléphones Huawei ont ainsi été en grande partie bannis des Etats-Unis et le FBI et la CIA se sont démenés pour rappeler à quel point ses produits étaient susceptibles de comporter des portes dérobées qui permettraient à Pékin, selon eux, de se livrer à un espionnage massif. Dans sa croisade, Donald Trump peut notamment compter sur les Five Eyes, l’alliance des services de renseignement des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. « Les Five Eyes coopèrent étroitement sur cette question de l’ingérence chinoise dans les télécoms, qui est une priorité pour eux, indique un expert français du secteur. Seulement il est souvent difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de la réalité et de la géopolitique ». « La Chine est aussi pour nous un partenaire économique qu’il serait contre-productif de vouloir stigmatiser », ajoute un diplomate français qui a été en poste en Asie.

Reste que ces derniers mois, l’Europe est également montée au créneau pour défendre sa souveraineté et pointer du doigt la mainmise sur son réseau du premier équipementier mondial. Le nouveau super-commissaire de l’Union européenne (marché unique, industrie, numérique, défense et espace), Thierry Breton, a par exemple multiplié les propos fermes vis-à-vis de Huawei. S’il se garde bien de mentionner la multinationale chinoise, affirmant que « tous ceux qui respectent nos règles – toutes nos règles – seront les bienvenus » (sur le futur marché 5G européen), il assure dans le même temps ne pas être « naïf » au sujet de Huawei. La position volontariste de Bruxelles vis-à-vis du groupe chinois se heurte toutefois à certaines résistances au sein de l’UE, notamment en Allemagne où le SPD et la CDU-CSU ne sont pas sur la même longueur d’ondes.

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https://www.challenges.fr/high-tech/huawei-la-france-sur-une-ligne-de-crete_720206

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